Éclaircir l’atmosphère

Ce que nous savons — et ce qui reste flou — dans le paysage post-électoral camerounais

The CamVox Times Editorial Board

10/13/2025

Dans les heures et les jours tendus qui ont suivi l’élection présidentielle du 12 octobre au Cameroun, les fils d’actualité sur les réseaux sociaux, les groupes WhatsApp, les émissions de radio et même certaines rédactions internationales ont été inondés de projections, de rumeurs et d’allégations non vérifiées.

Certains évoquent des victoires écrasantes, d’autres des manipulations de chiffres, des fraudes massives ou encore des renversements liés au vote de la diaspora.

Mais à ce stade, la seule voie vers la clarté reste la patience — et les faits rigoureusement vérifiés. Dans cet esprit, voici ce que la rédaction du CamVox Times, en s’appuyant sur des sources publiques et vérifiables, peut affirmer avec confiance — ainsi que les zones où des incertitudes demeurent.

ELECAM demeure la seule source d’autorité

À ce jour, Élections Cameroun (ELECAM) n’a publié aucun résultat partiel ou préliminaire concernant le scrutin du 12 octobre. Le dépouillement se poursuit dans les dix régions du pays et, conformément à la loi électorale camerounaise, les résultats définitifs doivent être rendus publics dans un délai maximum de quinze jours après le vote.

Ces délais, bien que frustrants, s’inscrivent dans la continuité d’un précédent historique dans un pays où les défis logistiques — transport des urnes depuis des zones reculées, coordination entre les aires linguistiques et déploiement d’observateurs sur tout le territoire — constituent des obstacles réels et récurrents.

Le site officiel d’ELECAM confirme que son Conseil électoral a publié la liste des 13 candidats qualifiés à l’élection présidentielle.
Cette liste — qui a notamment exclu Maurice Kamto, un ancien candidat majeur de l’opposition — a suscité des contestations et des inquiétudes exprimées par plusieurs organisations de défense des droits de l’homme quant à l’équité du processus.

Selon Human Rights Watch, cette exclusion “soulève des préoccupations quant à la crédibilité du processus électoral.”

Les chiffres : inscription et corps électoral

L’un des indicateurs qui alimente le plus les spéculations est la taille même du corps électoral.
ELECAM avait précédemment estimé le nombre d’électeurs potentiels inscrits à plus de 8 116 960.
D’autres sources évoquent environ 7,8 millions d’électeurs enregistrés pour le cycle électoral de 2025.

Dans les semaines précédant le scrutin, ELECAM a indiqué avoir enregistré plus de 460 000 nouveaux électeurs, une hausse notable par rapport aux cycles antérieurs.

Cependant, malgré ces chiffres, de nombreux Camerounais éligibles demeurent non inscrits — ou confrontés à des obstacles administratifs, logistiques ou informationnels qui entravent leur enregistrement.
À l’approche du scrutin, des observateurs ont noté que le rythme d’inscription semblait ralentir, moins de la moitié de la population éligible étant effectivement enregistrée.

Tant qu’ELECAM n’aura pas publié les résultats par bureau de vote (les procès-verbaux, ou PVs), tout résultat partiel diffusé sur les réseaux sociaux ou à la radio locale ne saurait être considéré comme confirmé.

Le vote de la diaspora : faible en nombre, fort en bruit

Autre source fréquente de spéculation : le rôle des Camerounais vivant à l’étranger.
Au fil du temps, ELECAM a établi une collaboration formelle avec 45 missions diplomatiques, désignées comme points focaux pour l’inscription, la sensibilisation et la gestion du vote des Camerounais de la diaspora.

La loi électorale camerounaise stipule que les citoyens résidant à l’étranger doivent être inscrits sur les listes électorales auprès des postes diplomatiques ou consulaires pour participer à l’élection présidentielle.

Toutefois, l’impact de la diaspora demeure limité par sa taille : selon les chiffres publics les plus crédibles, le nombre total de Camerounais inscrits à l’étranger pour voter reste très faible par rapport aux électeurs du territoire national.
Certaines estimations avancent environ 34 000 inscrits, soit moins de 1 % du total national — un chiffre qui reste à confirmer pour le cycle actuel.

Lorsque des publications en ligne prétendent afficher des “résultats de la France, de l’Arabie Saoudite ou du Kenya”, il faut les considérer comme anecdotiques et non vérifiées, sauf s’il s’agit de données issues de sources diplomatiques ou d’ELECAM — ce qui, à ce jour, n’a pas été publié.

Pourquoi le retard — et quels en sont les risques

Compte tenu du poids logistique du processus — transport des urnes, sécurisation du stockage, vérification des PV signés, coordination des antennes régionales — les retards d’ELECAM ne sont pas en soi suspects.
Lors des précédents scrutins, les autorités ont souvent mis plusieurs jours à recouper les signatures, ajuster les écarts et attendre les rapports d’observation avant publication.

Cependant, ces délais augmentent les risques :

  • Ils ouvrent la voie aux réseaux de rumeurs, qui comblent le vide d’information officielle ;

  • Ils accentuent la pression sur les acteurs politiques et non étatiques, tentés de présenter des “fuites” ou des données non attribuées comme des faits établis ;

  • Ils fragilisent la confiance du public envers le processus électoral et les institutions censées le protéger.

Même si ELECAM bénéficie d’un appui technique des Nations unies et du PNUD dans le cadre du cycle électoral 2025–2027, plusieurs observateurs pointent encore des faiblesses structurelles : un conseil électoral perçu comme sensible aux pressions politiques et l’exclusion de figures majeures de l’opposition qui entament la légitimité perçue du scrutin.

Ce que nous ne savons pas encore

Plusieurs questions essentielles demeurent sans réponse :

  • Le taux de participation par région et par bureau de vote : sans PV signés, la géographie du vote reste spéculative.

  • La marge de victoire : qu’elle soit étroite ou large, elle reste inconnue.

  • Les rapports d’observation : les missions nationales et internationales n’ont pas encore publié de conclusions sur d’éventuelles irrégularités.

  • Les réactions officielles : ELECAM n’a ni confirmé ni infirmé les rumeurs circulant en ligne.

  • Les résultats de la diaspora : aucune donnée officielle n’a encore été communiquée par les ambassades ou consulats.

En attendant, une posture responsable

Dans ce climat d’incertitude, la position la plus responsable pour les médias — y compris le CamVox Times — est celle d’une scepticisme mesuré.


Trois principes guident notre approche :

  1. Ne pas amplifier les rumeurs : les chiffres non vérifiés, les mèmes ou les captures d’écran virales doivent être questionnés, pas diffusés.

  2. Tenir ELECAM responsable : la pression publique doit se maintenir pour garantir la publication transparente et rapide des PV signés et des résultats complets.

  3. Encourager la patience et le calme : en l’absence de faits clairs, les récits simplistes — “victoire écrasante”, “fraude massive”, “coup de tonnerre” — sont prématurés et dangereux.

La vérité, lorsqu’elle émergera, viendra de documents vérifiables, de rapports d’observateurs et des communiqués officiels des institutions électorales du Cameroun — non des mégaphones ou des rumeurs virales.

Le CamVox Times reste résolument engagé à éclairer, et non agiter, à préserver la confiance du public, et à diffuser uniquement ce qui peut être justifié par des faits documentés.