Pourquoi Paul Biya "gagne légalement" les élections malgré le battage médiatique sur les réseaux sociaux
Dr. Julius Babila Taka, Director of Publication,
10/14/2025
Le vacarme urbain crée l’illusion du changement, tandis que le silence rural détermine l’issue. À chaque année électorale, les Camerounais envahissent les réseaux sociaux d’images, de vidéos et de publications suggérant que les candidats de l’opposition sont sur le point de triompher. Dans les bureaux de vote de Yaoundé, Douala et Bafoussam, les foules chantent des hymnes de victoire tandis que les directs annoncent que e changement arrive. L’espace d’un instant, la nation croit que le vent de la transformation souffle enfin. Pourtant, derrière ce spectacle se cache une vérité plus sobre: le secret des victoires "légales" et répétées du président Paul Biya s’étend bien au-delà de ces moments viraux et des lumières de la ville.
Ce qui circule en ligne n’est qu’un reflet urbain étroit d’un tableau national bien plus vaste. Les militants de l’opposition et les influenceurs numériques concentrent naturellement leur attention sur les villes : là où l’accès, la couverture Internet et la visibilité sont les plus forts. Les caméras tournent, les voix s’élèvent, et chaque quartier semble mobilisé. Mais le destin électoral de la République du Cameroun ne se décide pas à Douala, Yaoundé, Bamenda ou Buea. Il s’écrit dans l’arrière-pays — ces plaines rurales et villages montagneux non télévisés où la machine du RDPC fonctionne avec précision. C’est là que se joue la véritable campagne : dans les lieux invisibles, inaudibles et non enregistrés.
Toute élection crédible repose non sur l’émotion ou le bruit, mais sur la documentation — les procès-verbaux (PVs), ces feuilles de résultats officielles signées dans chaque bureau de vote et transmises à ELECAM. Si les villes produisent parfois des PVs favorables à l’opposition, leurs chiffres pèsent peu face à l’avalanche de PVs ruraux qui font pencher la balance. Dans ces zones reculées, les autorités administratives locales et les agents d’ELECAM — souvent fidèles de longue date au régime — assurent le contrôle procédural et la continuité politique. Les partis d’opposition, dépourvus d’observateurs et de moyens logistiques pour surveiller ces régions, se retrouvent armés de seuls PVs urbains. Lorsque le Conseil constitutionnel se réunit, le RDPC présente les résultats de partout ailleurs . Légalement, ce sont ces résultats qui comptent.
Ce n’est pas une théorie abstraite — elle s’est vérifiée de manière éclatante en 2018. Le MRC de Maurice Kamto a exhibé des PVs impressionnants provenant des grands centres urbains, certains montrant des avances significatives. Pourtant, ces victoires n’étaient que des îlots statistiques dans une mer de domination rurale. Lorsque Kamto a porté son cas devant le Conseil constitutionnel, le RDPC a opposé ses PVs ruraux — ceux qui comptaient légalement. La remarque désormais célèbre de Kamto, Vous avez la compétence de votre compétence, résumait l’impuissance de contester un système électoral enraciné sans présence nationale. Sans PVs vérifiés des bureaux de vote ruraux, aucun leader d’opposition ne peut contester les résultats finaux de manière crédible.
Avançons jusqu’en 2025. Issa Tchiroma Bakary se présente désormais comme un grand opposant. Pourtant, peu comprennent mieux que lui les rouages du système électoral camerounais. Ancien membre de l’administration Biya, Tchiroma sait parfaitement comment le RDPC maintient sa mainmise : par la couverture structurelle, le contrôle rural et la légitimité procédurale. Contrairement aux figures de l’opposition traditionnelle qui bâtissent des réseaux d’observateurs locaux, Tchiroma est entré tardivement dans la course, sans l’infrastructure ni la profondeur territoriale nécessaires pour contrer un système vieux de quarante ans. Ainsi, tandis que les réseaux sociaux s’enflammeront à nouveau de vidéos jubilatoires de ses partisans urbains, la campagne rurale restera, elle, sous la tranquille emprise du parti au pouvoir.
Le schéma est clair : l’opposition gagne la visibilité ; le RDPC gagne le territoire. Au Cameroun, la légitimité électorale découle moins de la popularité que du papier. L’avantage durable du parti au pouvoir réside dans son organisation : une structure loyale implantée dans chaque village, une présence dans chaque bureau de vote et une influence dans chaque antenne locale d’ELECAM. Lorsque les résultats sont proclamés, ce ne sont ni les tweets ni les directs qui façonnent la présidence — ce sont les feuilles signées venues de lieux sans Wi-Fi. Voilà l’anatomie des victoires « légales » de Paul Biya. Elles tiennent moins à l’adhésion populaire qu’à une omniprésence administrative — la légalité comme architecture, non comme accident. Le vacarme urbain continuera peut-être de résonner d’espoir, mais le silence rural continuera de décider du résultat. Tant que les mouvements d’opposition n’étendront pas leur vigilance au-delà de Facebook, au-delà de Douala et au-delà de Yaoundé, l’histoire ne changera pas. Paul Biya continuera de gagner légalement — et la génération des réseaux sociaux continuera d’être surprise par des résultats pourtant prévisibles depuis toujours.